Sur l’île de Madagascar, 80 % de la population vit à l’intérieur des terres. Loin des côtes et des centres urbains, les habitants ont un accès limité aux aliments riches en protéines et en nutriments comme le poisson, entraînant des problèmes de malnutrition dans les zones rurales. Des méthodes d’aquaculture innovantes ont le potentiel de fournir à la population rurale un approvisionnement régulier en poisson et soutenir les communautés sous formes de revenus supplémentaires.
Traditionnellement, la production continentale de poisson repose sur des méthodes d’aquaculture intensives ou semi-intensives. La version la plus sophistiquée techniquement de ces pratiques est appelée système de recirculation en aquaculture, dans lequel les poissons sont gardés à l’intérieur de réservoirs reliés ; formant un circuit fermé. Ici, ils sont nourris avec des aliments formulés et l’eau est recycler après élimination des déchets et purification. Une autre méthode intensive consiste à enfermer les poissons dans des filets en eau libre, souvent sur des plateformes flottantes, et à les nourrir avec des aliments formulés.
Les systèmes semi-intensifs reprennent certains aspects de la pisciculture intensive mais les combinent avec des approches basées sur la nature. L’élevage en étang est un exemple de ce type d’élevage. Les poissons sont élevés dans des bassins en terre avec une fertilisation naturelle, mais où une alimentation complémentaire est utilisée pour assurer une productivité plus élevée.
Une approche alternative, qui pourrait être transformatrice à Madagascar, est un système riz-poisson extensif. Les systèmes riz-poisson permettent d’élever des carpes et des tilapias parallèlement à la production de riz dans les rizières. Cela offre des avantages symbiotiques aux deux espèces : le riz fournit aux poissons un habitat abrité et des insectes pour se nourrir, tandis que le riz est fertilisé par les déchets de poisson. Il n’y a que des frais limités pour l’aménagement des rizières et les riziculteurs locaux peuvent gagner des revenus supplémentaires en élevant des poissons en plus du riz. Cependant, seulement 20 % des rizières adaptées sont actuellement utilisées pour la rizipisciculture, malgré ses avantages considérables.
Pour y remédier, le Projet d’Aquaculture Durable à Madagascar (PADM) s’est concentré sur la promotion de la rizipisciculture et de la culture en étang dans les hautes terres et sur la côte est de Madagascar. Financé par le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement (BMZ) et mis en œuvre par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, le projet a bénéficié à 15 815 fermes piscicoles, ainsi qu’aux communautés locales qui bénéficie d’opportunités de subsistance tout au long de la chaîne de valeur, de la disponibilité de poisson frais, et d’une meilleure nutrition.
Nous avons développé une évaluation des actifs durables (SAVi), en collaboration avec nos partenaires GIZ GmbH et le Shamba Centre for Food & Climate, pour évaluer la performance de quatre systèmes piscicoles clés. Pour ce faire, nous avons modélisé les coûts et bénéfices économiques, sociaux et environnementaux de la rizipisciculture extensive, de la pisciculture semi-intensive, de la pisciculture intensive en cages et de la pisciculture intensive en réservoirs sur un cycle de vie de 25 ans, de 2025 à 2050. En utilisant un modèle quantitatif éclairée par des méthodes qualitatives telles que les cartes systémiques, nous avons capturé les interactions complexes entre des variables telles que la dynamique de l’eau et des nutriments, la production de poisson et de riz pour analyser à la fois la durabilité et la rentabilité des différentes approches.
Dans l’ensemble, nous avons constaté que la rizipisciculture présente une performance environnementale élevée avec une utilisation minimale de l’eau, une utilisation efficace des nutriments, et une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de -0.81 kg-CO2e/kg de riz. En effet, l’introduction de poissons dans une rizière réduit les émissions de méthane en augmentant l’oxygénation du sol, limitant ainsi les conditions favorables aux bactéries productrices de méthane. La rizipisciculture contribue également à la biodiversité, en soutenant diverses espèces aquatiques et terrestres, en favorisant l’équilibre écologique, la diversité des habitats et les efforts de conservation. En revanche, les systèmes intensifs, tels que l’élevage en cages et en réservoirs, présentent des impacts environnementaux plus élevés, notamment des émissions de GES allant de 2,79 à 6 kg-CO2e/kg de poisson, des besoins en eau importants jusqu’à 34,091 litres/kg de poisson pour les systèmes en eau libre et une pollution de l’eau jusqu’à 14 fois plus importante en raison de l’exportation de nutriments.
Pour les communautés rurales, la rizipisciculture fonctionne à une échelle modeste par rapport aux autres systèmes, produisant à la fois du poisson et du riz. Cette approche intégrée améliore la diversité nutritionnelle et la sécurité alimentaire tout en favorisant l’emploi rural et la stabilité économique. De plus, les systèmes de rizipisciculture offrent des avantages récréatifs, servant d’espaces communs pour l’interaction sociale, les loisirs, les rassemblements communautaires et les expériences éducatives, renforçant leur valeur sociale. En comparaison, les systèmes d’agriculture intensive basés sur des aliments externes provenant d’ingrédients agricoles et halieutiques produisent un rendement élevé en convertissant les nutriments des aliments en poisson, sans utiliser la production primaire au sein du système de culture lui-même et sans apporter d’avantages nutritionnels supplémentaires.
En termes économiques, la rizipisciculture entraîne les coûts environnementaux les plus faibles, sans coûts liés à la demande en eau ou à la pollution. En comparaison, la pisciculture intensive en bassins entraîne les coûts environnementaux les plus élevés, dont 0,157 USD/kg de poisson pour l’utilisationde l’eau et 0,03 USD/kg de poisson pour les émissions de GES, ce qui reflète les besoins importants en ressources et l’impact environnemental de ces systèmes. De plus, la rizipisciculture extensive entraîne un coût économique plus bas par kilogramme de poisson produit (1,34 USD/kg) malgré l’intensité forte de main-d’œuvre, reflétant la création d’emplois importante dans les communautés rurales. En revanche, les systèmes intensifs comme la pisciculture en bassins ont des coûts économiques plus élevés (2,34 USD/kg), offrent moins d’opportunités d’emploi au niveau de la ferme et dépendent fortement d’intrants externes tels que les aliments formulés et l’énergie. Cela met en évidence un compromis entre les avantages en matière d’emploi et la rentabilité dans différents systèmes piscicole.
Résultats de l’analyse coûts-bénéfices intégrée
Notre analyse révèle que lorsque l’on inclut les externalités dans l’évaluation de ces projets d’aquaculture, les systèmes extensifs performent en moyenne 36 % mieux que les systèmes intensifs en évitant les externalités négatives associés à ces systèmes.
La rizipisciculture, pratiquée sur 100 m2, présente le coût cumulé le plus faible à l’horizon 2050 et procure des bénéfices environnementaux significatifs. En revanche, la pisciculture intensive utilisant des cages et des réservoirs, opérant sur 1 000 m2 et 10 000 m2 respectivement, entraîne des coûts substantiels de construction et des externalités (, soulignant les potentielles dettes économiques et environnementaux des systèmes intensifs. Les externalités quantifiées sont les suivantes : émissions de GES (production d’aliments, production d’engrais, consommation d’énergie, production de semences de riz, activités biologiques des étangs), usage de l’eau, pollution de l’eau (exportation d’azote, de phosphore, et de matière organique), besoins en terres et en pêche sauvage pour produire des aliments, et besoins énergétiques pour fonctionner.
Unité | Rizipisci-culture | Semi- intensif | Cage intensive | Réservoir intensif | |
Échelle de la ferme | m2 | 100 | 700 | 2,000 | 10,000 |
Coûts directs | |||||
Coût de construction | USD | 1 | 417 | 29,506 | 4,246,861 |
Coût de la main d’oeuvre | USD | 136 | 510 | 3,208 | 107,274 |
Coût des aliments et des engrais | USD | 24 | 3,814 | 170,813 | 5,173,619 |
Coût de l’énergie | USD | – | – | – | 2,325,711 |
Coût des alevins | USD | 11 | 720 | 22,142 | 705,127 |
Coût des semences | USD | 2 | – | – | – |
Coût de l’usage de l’eau | USD | – | 5 | – | 725,201 |
Externalités | |||||
Coût des émissions de GES | USD | 0.2 | 49 | 2,024 | 138,749 |
Coût de la pollution de l’eau | USD | – | 1,154 | 73,723 | 96,617 |
COÛTS TOTAUX | USD | 173 | 6,670 | 301,416 | 13,519,159 |
Bénéfices | |||||
Revenus de la vente de poisson | USD | 101 | 9,417 | 377,789 | 11,827,738 |
Revenus de la vente de riz | USD | 138 | – | – | – |
BÉNEFICES TOTAUX | USD | 240 | 9,417 | 377,789 | 11,827,738 |
Indicateurs clés | |||||
Rapport Coûts-Bénéfices | ratio | 1.38 | 1.41 | 1.25 | 0.87 |
Conclusion
En conclusion, l’évaluation des actifs durables (SAVi) offre une compréhension approfondie des systèmes piscicoles à Madagascar, révélant que si les systèmes intensifs sont financièrement attractifs de par l’échelle à laquelle ils opèrent, ils sous-performent économiquement en raison de coûts externes élevés. Les systèmes extensifs, caractérisés par une structure de coûts main-d’œuvre/capital plus élevée, soutiennent non seulement un emploi substantiel et le développement communautaire, mais présentent également une forte viabilité tant du point de vue sociétal que financier. Ces systèmes ont tendance à générer des impacts environnementaux positifs, contribuant à des résultats positifs pour la nature.
Le Dr Jens Kahle, conseiller du programme mondial Pêche et aquaculture durables de la GIZ, a déclaré : « Les systèmes de production piscicoles extensifs sont censés avoir une faible productivité, ce qui ne permet pas de comprendre que ces systèmes produisent du poisson presque sans externalités. Les systèmes intensifs peuvent produire de grandes quantités de poisson sur une petite surface, mais pour ce faire, ils dépendent largement des externalités (terre, eau, énergie) pour maintenir la qualité de l’eau et produire des aliments. Si l’on tient compte des externalités, les systèmes extensifs ont en fait une productivité très élevée ».
« L’aquaculture est très diversifiée en termes de niveau d’intensité (densité de stockage), de taille des exploitations et d’efficacité de production. Comprendre les avantages et les inconvénients des différents systèmes aidera les décideurs à élaborer des stratégies nationales et des voies nationales pour répondre à la demande du marché de la manière la plus durable possible.
Principales conclusions :
Aspects environnementaux
- Élevage intensif : émissions de GES et besoins en ressources plus élevés.
- Rizipisciculture : réduction des émissions de GES, consommation d’eau minimale et utilisation efficace des nutriments. Protège et améliore également la biodiversité avec les coûts environnementaux les plus bas.
Compromis économiques et sociaux
- Élevage intensif : coûts par kilogramme plus élevés, moins d’emplois, forte dépendance aux intrants externes, rendements plus élevés.
- Rizipisciculture : coûts plus faibles, emplois importants, diversité nutritionnelle et stabilité rurale.
Résilience et viabilité
- Systèmes intensifs : risques plus élevés, défis économiques et durabilité à long terme plus faible.
- Rizipisciculture : rapport coût/bénéfice stable, tant au sens intégré que traditionnel, faibles coûts d’investissement, externalités minimales.